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23/03/2011

Jean-Marie Straub: une rétrospective

Une rétrospective des films de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet se tient à Metz du 11 mars au 3 avril 2011, au Centre Pompidou-Metz principalement, mais aussi au cinéma Caméo, à l’Opéra-Théâtre et à l’Arsenal. A mi-chemin, quelques photos et une réflexion sur le film La mort d’Empédocle.
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La mort d’Empédocle
Il y aurait trois films au moins pour le spectateur de La mort d’Empédocle : le premier est mené par le texte dense de Hölderlin, servi par les personnages statiques, par leur diction, leur présence presque minérale dans le paysage. Il est lent, prend son temps, passionne par sa précision, pour peu qu’on le suive attentivement.
Le second est le film géographique, celui auquel on accède en se détachant du premier, aidé par les blancs de traduction (Danièle Huillet ayant volontairement laissé des phrases entières en allemand sans sous-titre).

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La densité du texte nous éloigne en effet parfois d’une recherche de compréhension textuelle (pour ceux qui ne parlent pas allemand, mais sans doute aussi pour ceux qui le pratiquent). On accède alors à ce film géographique, « géologique » comme l’a dit Jean-Marie Straub à propos d’Antigone (ce film étant né parce que Danièle Huillet et lui ont découvert le théâtre de Ségeste, en Sicile, lors d’un long voyage en voiture, le lieu préexistant à l’idée même du film).
Film géographique en ce sens que le lieu naturel a sa propre autonomie par rapport au récit. Ce qui se déploie alors (pour nous dans une sorte de contemplation), ce sont les strates d’une histoire primordiale servie par le lieu et les micro-événements qui parcourent le film (les mouvements et bruits de la nature -feuillages, vent, insectes-, les changements de lumière, les mouvements des vêtements). Servie aussi par le déplacement du récit vers ces plans qu’on pourrait croire vides mais qui se peuplent: la volée de marches de la maison d’Empédocle (on n’en verra pas plus), de longs plans de l’Etna aux ciels changeants. On voit cela comme un autre récit possible, dans l’économie des images et des sons que font les Straub, dans la minutie de leur mise en place.
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Ces deux films ne se succèdent pas : ils s’enlacent. On passe de l’un à l’autre, ils se confondent parfois, se détachent d’autres fois, on y plonge en ayant conscience de la rareté de cette expérience de spectateur.

Le troisième film, peut-être (mais chaque spectateur est unique), c’est celui que notre culture (au mieux) ou nos habitudes (au pire) permet : comment ce récit, en ce lieu, pourrait être montré ? Comment ce qui est dit prend-il corps, encore autrement, dans le désir du spectateur ? Aucun cinéma ne s’adresse à des spécialistes, celui des Straub comme celui des autres.. Quelles autres images le spectateur va-t-il convoquer ? S’il se détache des deux premiers films, où va-t-il ? Car à aucun moment l’action n’est présente : seul le récit, la confrontation des paroles des différents personnages, l’annonce de l’action à venir sont présents. Il y a donc quelque chose de l’évitement (du déplacement) ou de l’impossibilité (ou de la vanité) à montrer l'événement dans le film des Straub. De la perte aussi. Qui peut être la perte du Cinéma lui-même, sa disparition.

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Jean-Marie Straub avec Jean-Luc Nancy et Benoît Goetz, après La mort d'Empédocle (dimanche 20 mars)

Programme complet de la rétrospective à Metz sur http://cineart.metz.free.fr

jean-marie straub,metz


01/02/2011

Un moment avec Jean-Marie Straub

On ne parlera jamais assez du cinéma des Straub, souvent ignoré par la critique car définitivement à l’écart des enjeux cachés des prescripteurs de cinéma.
Si Jean Vigo vivait aujourd’hui, son destin ne serait pas différent de celui qu’il a vécu: marginalisé et réduit à une caricature d’estime obligée. La prudence des prescripteurs ne maintient qu’une petite ligne de notoriété fondée sur la peur de se tromper, de rater quelque chose de la résistance de l’œuvre au temps et d’un retournement possible.
Ce qui est ignoré est que le cinéma puisse être aussi fort que la musique ou la littérature, que son emprise sur le spectateur puisse s’envisager autrement que comme une gentille relation fatiguée et passive.
Il semble que les temps ne soient plus à ces revendications véhémentes qui bousculaient les milieux artistiques des années soixante et soixante-dix. Un long processus mou aboutit aujourd’hui à l’émiettement des volontés, à une normalité mondialisée et à l’édification d’un mur entre l’art et la vie.
C’est ce que nous dit le cinéma singulier des Straub qui ne revendique rien d’autre que d’être ce qu’il est et d’être respecté comme tel. Aucune autre injonction que d’écouter, de voir : Cézanne, Bach, Schoenberg, Böll, Pavese. Ce qui suffit à déranger.
Si, comme on l’a entendu, Jean-Marie Straub peut passer pour une sorte de dictateur intellectuel, c’est sans doute à cause de quelques interventions tempétueuses, en public ou à la télévision, qui sont retenues à sa charge. Il est loin de la retenue bienséante exigée aujourd’hui, sur le modèle de ces émissions de télévision où colère et sincérité sont bannies. Mais le débat artistique réel a connu des moments autrement plus agités et passionnants et il est dommageable qu’aujourd’hui ce débat s’étiole. Il semble que le calcul prévaut, qui transfère à grande vitesse les idées et les intuitions artistiques en monnaie sonnante et trébuchante. Il est vrai que le contemporain a l’expérience de l’accélération du temps et de la mutation du territoire de l’artiste maudit en El Dorado (intuition et accusation assumée de Salvador Dali -Avida Dollar pour André Breton-).

Jean-Marie Straub a la colère de sa résistance.

jean-marie straub


JMS chez lui, à Paris, janvier 2011

Jean-Marie Straub poursuit son œuvre. Celle-ci sera projetée en sa présence à Metz, sa ville natale à partir du 11 mars prochain jusqu’au 3 avril. Projections, débats, conférences sont au programme.
A suivre…

18/12/2010

Critique sans permis, une réponse à Michel Ciment

Michel Ciment, éminent critique de cinéma (Positif, Le Masque et la Plume) est venu dernièrement à Metz rencontrer des étudiants de l’Université et présenter un film (très hagiographique) sur lui-même.
Participant a minima à l’opération (en tant qu’animateur d’association), j’ai partagé sa table au restaurant et assisté au débat.
Moments éprouvants pour votre serviteur lorsqu’il a été question de Jean-Marie Straub et de la rétrospective qui lui sera consacrée en mars prochain dans sa ville natale. La détestation de Michel Ciment pour l’œuvre de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub est totale, définitive et manifeste, quand bien même il s’adresse à l’un des organisateurs de cette rétrospective, en plein effort pour la mettre sur pied. La répétition de la sentence devant les étudiants en cinéma, potentiels spectateurs, a fini de créer en moi ce malaise que je rapporte ici et qui m’interroge.

Ce qui pose problème n’est pas de forcer à aimer, mais de forcer à détester, sous peine de n’être pas accueilli dans le réseau de ceux qui pensent dans les médias et qui ont pour principal soucis de se démarquer des pensées uniques en en créant d’autres. Construire une pensée sur la destruction d’une autre qui ne vous appartient pas revient à tourner en rond et à finir par se contredire soi-même.

Danièle Huillet et Jean-Marie Straub ont cette capacité de rejet total pour le spectateur. On les aime ou on les déteste. Pas de milieu. Cela fait partie, intimement, de leur existence de lutteurs en cinéma. Lutteurs, cela on peut leur reconnaître et parier sur l’avenir de leurs films, même dans le « chaos du goût » actuel qui illusionne encore sur une fonction de séduction du cinéma alors même que la séduction a glissé vers d’autres sphères de l’image animée, est devenu le principal vecteur de la consommation de masse et de mensonges généralisés. Si le spectateur croit encore ce qu’il voit, ce n’est plus au cinéma, c’est partout ailleurs où se trouvent les ersatz, les clones. La salle de cinéma est encore un lieu assez pur pour lutter contre la crédulité : elle propose des films aux alternatives et aux écritures variées, une position de spectateur qui laisse place à l’interprétation, au recul (installation du spectateur dans la salle, rites liés au spectacle) et qui permet un travail face au film, la mise en place d’une critique personnelle.

Michel Ciment suggère, dans le film qui lui est consacré, de mettre en place un « permis de critiquer » pour éviter d’intempestives interventions de tout un chacun qui mettrait son grain de sel dans (j’interprète) l’ordonnance bien réglée des prescripteurs. C’est une boutade, paraît-il. Mais dans quel état se trouve réellement la critique cinématographique actuelle? Elle se trouve proche du néant, remplacée par la promotion pure et simple des produits, l’un chassant l’autre au rythme effrayant de l’industrie cinématographique. Lui-même en est le témoin vivant, la revue Positif étant presque la seule aujourd’hui à proposer de vraies critiques. Alors où se trouve la contradiction ?
Pour tenter de lutter, si cela est possible, contre sa sentence définitive, je suggère à Michel Ciment d’écrire une critique approfondie sur le prochain film de Jean-Marie Straub qui sort en janvier 2011. Qu’il le voie et en juge. Qu’il remette en cause son jugement et qu’il explique sa position à ses lecteurs.
Les Straub méritent bien qu’on se penche sur eux. Leur cinéma est exceptionnellement fidèle et sincère. Il ne s’inscrit dans aucun système habituel de production cinématographique et déroute la critique car il sort de tous les sentiers battus : libre dans son économie, son esthétique, ses formats, ses processus de fabrication.
Il ne sera jamais populaire, mais durera certainement.

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Emis ce jour-là par un professeur d’université : trop de films sortent, trop de films inutiles sont subventionnés. Pour réduire le nombre de films, il suffirait d’introduire, dans les commissions d’attribution des subventions publiques pour le cinéma, des représentants du public (s’entend du grand public). L’effet ? Je le crains, la disparition des « petits » films : C’en serait fini de Jacquot, Rivette et même Ruiz (prix Louis Delluc cette année), des réalisateurs adoptés par la France (qui ne trouvent pas à financer leurs films ailleurs), des films à petit public, de la variété qui est proprement française.
C’en serait fini des autres formes de films que les revues de cinéma oublient de citer : les films courts, les documentaires.
Car considérer et ne juger le cinéma que comme un produit industriel et populaire, assumer une élimination des films par l’évaluation de leur nombre de spectateurs, reviendrait à tuer le cinéma en France, déjà mort dans de nombreux pays.